L’INDUS

ORIGINES, TENDANCES, AVENIR

 

par OTTO PSY [JS] - 2001

[Remerciements à Steve Tiasmatsen, E. Durand, Nico P.]

 

 

 

 

 

QU’EST-CE QUE LA MUSIQUE INDUSTRIELLE ?

 

Vous trouverez chez les disquaires bien achalandés un coin réservé aux albums d’ " indus ", souvent mélangés au gothique, à la cold ou encore aux indépendants. Les couleurs noire et grise dominent les pochettes et les noms des groupes sont souvent longs et imprononçables, à consonance allemande ou anglaise. Pour continuer dans le cliché, on peut décrire la musique industrielle comme un style basé sur des percussions métalliques qui martèlent, accompagnées de bruits agressifs souvent dissonants et de voix trafiquées, criées plus que chantées. En fait, l’indus est pour beaucoup une musique suspecte, appréciée par d’étranges mélomanes qui n’auraient pas compris que la musique moderne est faite pour distraire, pour danser ou encore adoucir les mœurs.

Peu de gens savent en fait ce qu’est l’industriel à proprement parler. Pourtant ce style a été très productif et une partie de la musique actuelle s’en inspire.

A la base, l’industriel est un mouvement de contestation sociale et artistique. Il rejette le contrôle de la musique populaire par les businessmen, les médias et tous les hommes de pouvoir. Son essor est marqué par la création d’Industrial Records, à Londres, à la fin des années 1970 par le groupe Throbbing Gristle. C’est un des premiers labels indépendants, une entreprise de production et de diffusion de cassettes audio et de 33 tours, qui laisse ses musiciens s’exprimer sans contrainte, ni censure, ni souci de rentabilité. Il développe une " stratégie de guérilla " contre les major company, ces entreprises qui soumettent la musique populaire aux lois du marché. Plus généralement, le mouvement industriel vomit l’industrie des loisirs orchestrée par les grands médias. Il cherche à faire réfléchir sur la propagande et le marketing, sur l’utilisation de l’art et des diverses techniques de communication pour convaincre et dominer. L’ambition est de créer une alternative à la culture de masse afin de lutter contre l’uniformisation des esprits.

Pape de l’industriel, Genesis P-Orridge (alias Neil Megson) explique qu’au départ le but est de "savoir jusqu’où on pouvait métamorphoser et coller le son, présenter des sons complexes et non-divertissants dans une situation de culture populaire, afin de convaincre et de convertir. Nous voulions réinvestir la musique rock avec un contenu, une motivation et un risque. "

Apparu en même temps que le punk, l’industriel se veut plus radical, plus réfléchi et surtout plus novateur en matière musicale. Il milite pour l’éclatement des codes musicaux qu’ils soient rock, jazz, classique ou pop. Recherchant l’imprévu, fuyant le formatage, il puise dans différents styles. Par ailleurs, de nouveaux instruments sont incorporés à la musique. Les membres d’Einstürzende Neubauten utilisent des perceuses, de l’eau, des tôles, ou même leurs dents pour produire des sons originaux. Dès le départ, les instruments électroniques ont été privilégiés : boites à rythme, synthétiseurs et les tout premiers échantillonneurs (sampleurs), dès le début des années 1980. Ces instruments électroniques aidant, l’indus a été produit par des non-musiciens et a développé la répétitivité (utilisation des séquenceurs). C’est dans ce sens que l’industriel est pour une bonne part à l’origine de la techno.

L’industriel ne se limite pas au départ à un courant musical, c’est une tentative d’art total. Soit les musiciens indus sont des touches à tout en matière artistique (Genesis P-Orridge, Jim Thirlwell), soit ils collaborent fréquemment avec des cinéastes, des troupes de théâtre ou de danse contemporaine. Pour les disques, le graphisme des pochettes compte parfois autant que la musique elle-même.

Dans toutes ses expressions artistiques, l’industriel recherche la provocation la plus radicale, le choc et la confusion. Les thèmes développés sont autant de tabous : le totalitarisme sous toutes ses formes (propagande, uniformes militaires, symboles païens, plus ou moins fascistes ou nazis) ; le sado-masochisme, bouffonnerie spectaculaire parodiant les rapports humains ; la mort. C’est un constat froid des horreurs du monde, l’irruption de la laideur sous toutes ses formes dans la musique populaire.

Mais attention, l’humour, le sarcasme et le cynisme sont essentiels dans l’indus. L’ironie et l’ambiguïté sont fondatrices : la musique qui se proclame industrielle s’oppose à l’industrie de la musique et aux valeurs de la société industrielle. Les membres de Throbbing Gristle troquaient volontiers leurs uniformes pour des chemises hawaïennes, Current 93 s’est pris de passion pour le héros enfantin Oui-Oui (Noddy), Laibach a parodié pompeusement les Beatles, Clair Obscur a chanté les cours de la bourse, après avoir smurfé au goulag, et Foetus s’est fait connaître par une parodie de disco en l’honneur du marquis de Sade (avant Mylène Farmer !). Tous les musiciens qui se prétendent industriels mais s’expriment sans cette ironie fondatrice ou sans véritable recherche musicale utilisent le terme abusivement.

Dès 1981, Throbbing Gristle se sépare. Genesis P-Orridge explique : " nous avons quitter un milieu envahi par des idées et des gens malsains, parce que ces gens ont choisi de ne pas comprendre ce que nous disions. C’est devenu une surenchère de provocation ". On a assisté en effet à une dérive et un appauvrissement musical. L’industriel est devenu un style parmi les autres. Comme tout mouvement contestataire, il a été récupérée ; à la fois par les médias et par des mouvements d’extrême droite. Ainsi on a pu entendre, dans des publicités télévisées, des percussions métalliques pour vanter les mérites de slips très masculins, ou bien des bruits de mécanique qui déraille sortant d’un autoradio, pour vendre une voiture à la mécanique irréprochable. Les liens avérés avec l’extrême-droite ne concernent que quelques uns : en particulier Boyd Rice (du groupe NON) et plusieurs pâles ersatz du groupe de folk industriel Death in June, englués dans une soupe européaniste nauséabonde, où se mêlent révolution conservatrice, paganisme nordique ou celtique, thèmes guerriers et romantisme noir.

Ces connivences ont jeté le discrédit sur tout le mouvement industriel. C’est oublier que les artistes d’Industrial records refusaient de s’exprimer sur le terrain politique traditionnel, que des groupes se sont engagés à gauche (Test Dept), tandis que d’autres ont affirmé leur rejet de l’extrême-droite (Front 242). Beaucoup cependant répugnent à se justifier et continuent de jouer le jeu dangereux de la provocation fasciste. Il y a peu le groupe allemand Substanz t. a échantillonné la phrase suivante dans un morceau : " if you don’t like fascism, don’t play industrial music " (compilation teknoir, 1998).

 

 

 

ORIGINES

 

La plupart des musiciens industriels revendiquent la spontanéité et connaissent peu la musique d’avant-garde. On peut quand même bricoler une généalogie.

L’industriel a puisé dans différents mouvements avant-gardistes du vingtième siècle où se mêlent art et engagement, en particulier dans le futurisme, le dadaïsme, le surréalisme et le situationnisme. Dans L’art des bruits (1913), Luigi Russolo prophétisait que la musique de l’avenir serait basée sur l’utilisation des bruits les plus divers, issus de la nature, du machinisme et des nouvelles technologies. Le titre de son livre a d’ailleurs été repris par le groupe de techno-pop industrielle " The Art of Noise ". Pour sa part, le groupe d’industriel Cabaret Voltaire tire son nom du café où naquit le mouvement Dada, à Zurich, en 1916. Au cours de ses premiers concerts, en 1975-76, ce groupe projetait des films surréalistes. Aussi, l’indus s’inspire d’une certaine manière du primitivisme lorsqu’il emprunte aux cultures non occidentales (japonaise, tibétaine, " orientales ").

Les arts du spectacle ont eu également une influence importante. Un point de départ serait le théatre de la cruauté d’Antonin Artaud, qui s’intéressait aux expériences-limites sur la pensée et le corps. Avant de créer Throbbing Gristle, P-Orridge et Cosey Fanny Tutti participaient à des performances de Body Art (rituels païens, body piercing), dans la troupe Coum Transmission, créée à Shrewsbury (Angleterre) durant l’été 1969. Leur exposition londonienne " Prostitution " a déclenché un scandale jusque dans l’enceinte du Parlement britannique.

L’écrivain américain William Burroughs a également inspiré l’industriel. Throbbing Gristle cherchait à adapter sa technique du cut up en collant des éléments sonores et visuels disparates, provenant de toutes les formes de la culture populaire. Burroughs a d’ailleurs sorti un projet sur le label Industrial Records (Nothing here now but the recordings) et a côtoyé des groupes comme Ministry.

En ce qui concerne les influences purement musicales, la musique classique contemporaine et les œuvres (souvent pénibles) de la musique concrète et de l’électro-acoustique n’ont eu généralement qu’une influence indirecte (Terry Riley, La Monte Young, John Cage, K. E. Stockhausen, Pierre Schaeffer). Les principales influences musicales sont à rechercher dans la pop et le rock novateurs des années soixante et soixante-dix : le Velvet Underground et l’album Metal Machine Music de Lou Reed (1975), Kraftwerk, the Residents (The Third Reich ‘n’ Roll, 1975), Brian Eno…

Enfin, la musique industrielle est également le produit d’un contexte. Elle exprime les rêves brisés des années 1960 : " Nous étions des post-néo-beatniks !" déclare P-Orridge. L’indus veut refléter son environnement, celui de la société industrielle en crise, de l’Angleterre thatchérienne marquée par le chômage massif et un retour du libéralisme sans complexe.

 

 

 

" EARLY INDUSTRIAL "  (1975-1985)

 

Le noyau primitif de l’industriel se limite à quelques noms : Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire, SPK, Monte Cazazza, Clock DVA et NON. C’est le californien Monte Cazazza, musicien et ami de Genesis P-Orridge, qui a inventé le terme " industriel ".

 

Throbbing Gristle (TG) :

Heathen Earth (1979), Greatest Hits. Entertainment through Pain (1981)

Throbbing Gristle (TG) signifie quelque chose comme " pénis turgescent " ou " cartilage vibrant ". Gourou de la bande, Genesis P-Orridge écrit les textes, chante, crie, manipule violons et basses ; Cosey Fanny Tutti sort du bruit de sa guitare pour enfant et de son cornet à piston via de multiples effets ; Chris Carter est maître ès bricolage en guitares et synthés, utilise déjà un échantillonneur digital et trafique toutes sortes de chambres d’écho et de pédales fuzz ; Peter " Sleazy " Christopherson manipule synthétiseurs et bandes magnétiques. Mis à part la boite à rythme, les compositions sont largement improvisées et enregistrées en une seule prise.

La première période du groupe (1976-78) est très bruitiste et expérimentale. Puis, les albums 20 Jazz Funk Greats et Greatest Hits : Entertainment through Pain sont plus abordables. Ils mêlent des compositions bruitistes aux paroles hurlées (Subhuman) et des mélodies techno synthétiques à la fois niaises et fabuleuses (United, Adrenalin), qui préfigurent la techno pop des années 1980.

Heathen Earth, enregistré live en studio entre 8 heures 10 et 9 heures le 16 février 1980, devant une vingtaine d’amis, est l’enregistrement qui traduit le mieux l’esprit du groupe. C’est une sorte de synthèse furieuse entre le Velvet Underground et Kraftwerk. Elle est très variée sans être totalement hétéroclite, elle mêle rythmes purement synthétiques et bruits évolutifs souvent saturés, elle est à la fois complètement expérimentale et partiellement accessible au grand public d’aujourd’hui, devenu plus familier aux sons synthétiques.

En 1981, TG explose et enfante trois groupes : Psychic TV, Coil et Chris and Cosey.

 

Cabaret Voltaire :

Live at the YMCA (1979), The Living Legends (1975-1981)

Originaire de Sheffield, le groupe est composé de Richard H. Kirk, Stephen Mallinder et Chris Watson. Les premiers enregistrements sont des collages en boucle sur bande magnétique, enrichis de quelques sons de synthés ou de guitares. Les voix tirées de films ou d’émissions de radio sont restées comme la marque de fabrique du groupe, qui se fait une réputation avec des titres comme " Baader Meinhof " et " Do the Mussolini (Headkick) ". A partir de 1978, il collabore avec Industrial Records et surtout avec Rough Trade, disquaire et label indépendant, point de ralliement des artistes dub, punk et industriels londoniens à la fin des années 1970, toujours en activité. La structure a évolué (boite à rythme, basse, guitare, voix, synthés et bandes) et la musique devient un peu plus abordable. Nag, Nag, Nag, No Escape ou Yashar sont devenus des tubes underground incontournables. Quelques uns de ces tubes sont rassemblés sur la compilation de singles The Living Legends, tandis que le Live at the YMCA reste comme un des sommets de l’early indus. Un peu moins extrémiste que celle de TG et de SPK, la musique de Cabaret Voltaire réussit davantage le mélange entre expérimentation bruitiste et mélodies. Le départ de Watson, en octobre 1981, marque la fin de la période early industrial du groupe. Cabaret Voltaire évolue vers une musique électronique dansante plus ou moins réussie, collaborant avec des artistes comme Adrian Sherwood. Cabaret Voltaire disparaît en 1994.

 

SPK :

Auto Da Fe (1978-82) 

L’unique élément fixe de ce collectif est l’australien Graeme Rewell, installé à Londres en 1979. Le nom fait référence au Socialistisches Patienten Kollectiv, groupe de malades mentaux qui tentèrent de se constituer en groupuscule terroriste, comme la bande à Baader, et périrent en essayant de faire sauter leur hôpital psychiatrique. Le groupe affectionne les philosophes français Michel Foucault et Jean Baudrillard qui ont remis en cause les valeurs occidentales. Il s’attache à mêler lors de ses concerts musique, théâtre et vidéos. Mark Pauline, sculpteur et fondateur du Survival Research Laboratory, a participé à l’élaboration des spectacles de SPK et a également côtoyé TG. La musique des débuts est très agressive. Des rythmes robotiques qui martèlent sont noyés dans un flot de bruits métalliques saturés et stridents ; les voix sont parfois hurlées, parfois chantées, ou proviennent d’enregistrements magnétiques (voir les premiers singles " Germanik " et " Slogun " regroupés sur la compilation cd Auto Da Fe). SPK disparaît en 1987, après quelques albums de techno-indus peu convaincants (Metal Dance, 1983 ; Junk Funk, 1984). Graeme Rewell est devenu un compositeur de musique de film réputé.

 

Einstürzende Neubauten :

Kollaps (1981), Halber Mensch (1985)

Neubauten est né à Berlin, avec comme noyau dur Blixa Bargeld (voix exceptionnelle, guitare), N. H. Unruh et F. M. Einheit (percussions et objets métalliques bricolés). Tout au long de sa carrière, le groupe a produit lui-même ses rythmes et ses sons, en utilisant assez peu de boites à rythme, synthétiseurs ou échantilloneurs. Après le premier album (Kollaps, 1981), F. M. Einheit a collaboré avec Genesis P. Orridge et William Burroughs en tant qu’acteur et musicien sur le film Decoder (1983). Leur label londonien Some Bizarre les rattache également à la scène anglaise. Neubauten a composé la musique de divers spectacles de théâtre contemporain, dirigés par Heiner Müller ou Peter Zadek. Malgré le départ de FM Einheit, Neubauten poursuit sa carrière en ce début de millénaire, avec une musique beaucoup plus calme, qui a exceptionnellement à voir avec la furie et les émotions fortes qui traversent les premiers morceaux (" Tanz Debil " et " Negativ Nein " sur l’album Kollaps, " Der Tod ist ein Dandy " et le tube industriel " Yü-Gung " sur Halber Mensch, qui est la meilleure introduction à ce groupe exceptionnel. En fait, comme son nom l’indique, le groupe refuse l’enfermement dans un style codifié, il évolue lentement mais constamment.

 

Fœtus :

Nail (1985), Sink (1980-89), Thaw (1989), Flow (2001)

Jim Thirlwell alias Clint Ruin, alias DJ Otefsu, alias Foetus est un australien qui a débarqué à Londres en 1978. Ses talents multiples ont fait de lui un artiste mythique à l’œuvre très personnelle : voix remarquable ; textes obscurs, sanglants et délirants, qui fourmillent de références littéraires ou cinématographiques ; compositions très riches et variées ; production ; conception des pochettes souvent inspirée des mangas ; acteur de films underground dirigés par Richard Kern. Thirlwell est passé maître dans l’art du sampling dès la première moitié des années 1980. Il s’est aventuré dans à peu près tous les styles musicaux, créant une oeuvre cohérente à partir d’éléments complètement disparates. La compilation Sink rassemble quelques compositions early industrial des débuts (" OK Freeze Mother ", " Boxhead "). Thaw apparaît comme l’album le plus abouti, à la musique à la fois extrême et maîtrisée, avec un morceau purement industriel " Fin ", un morceau vaguement rock " The Faith Healer ", un morceau jazz rumble ultravitaminé " Hauss on Fah ", deux morceaux néoclassiques basés sur des samples de violons, un morceau indus métal " Don’t Hide it, Provide It ! "…

Fœtus a collaboré à Londres avec Marc Almond et Coil, dont il a produit le premier album en 1984. Installé à New York depuis 1984, il a côtoyé le milieu noise/no wave et a composé ou joué avec la sulfureuse Lydia Lunch, avec Thurston Moore de Sonic Youth, avec les Swans, Cop Shoot Cop, Roli Mosimann, Raymond Watts et bien d’autres. Il a remixé Megadeth, Nine Inch Nails, Red Hot Chili Peppers ou Pantera.

 

Psychic TV :

Dream less Sweet (1983)

Genesis P.Orridge et Peter Christopherson de TG créent Psychic TV en 1982 avec Alex Ferguson. Au même moment, P. Orridge crée le Temple of Psychic Youth (TOPY), une organisation dont le but est de déconditionner de l’endoctrinement social, organisation autonome, non-hiérarchique, anti-culte, impliquée dans la cyberculture, qui a tout d’une secte. Les deux premiers albums de Psychic TV sont à rattacher à l’indus. Marc Almond et David Tibet (Current 93) participent au premier album (Force the End of Chance, 1982).

L’excellent album Dream less Sweet enchaîne des morceaux très différents les uns des autres. Des instruments plus traditionnels sont utilisés par rapport à TG (chorale, violons, percussions tibétaines). A partir de 1984, Psychic TV est mené par Genesis P-Orridge. Dès 1985, il devient un pionnier de l’acid-house et organise des raves party en Angleterre. Sa musique devient moins intéressante, mais continue de mêler des éléments disparates, rock, pop et folk, avant de devenir autour de 1990 et pour quelques albums très électronique et dansante. En 1991, le TOPY regroupe 10 000 membres à travers le monde (Royaume-Uni, Etats-Unis, Suède, Islande…). Accusé (à tort ou à raison ?) de mener des rituels satanistes et pédophiles, P. Orridge est expulsé du Royaume-Uni en 1992. Il se réfugie dans les environs de San Francisco. Aujourd’hui P. Orridge s’enthousiasme pour Internet et prépare un nouveau projet musical sous le nom " Thee Majesty ".

 

Coil :

Scatology (1984), Love’s Secret Domain (1989)

Peter Christopherson et John Balance créent Coil en 1984. Leur musique s’éloigne de l’early indus par son manque d’agressivité. Scatology est produit par Fœtus, qui ajoute quelques samples. Un Mimic Sampling Keyboard est utilisé par Christopherson, un Yamaha DX7 par Balance, ainsi que des instruments traditionnels (guitare, basse, clarinette, piano…). Une poignante reprise du Tainted Love de Soft Cell conclue ce premier album, prometteur mais un peu hétéroclite. L’album Love’s Secret Domain est une merveille de musique électronique, parfois dansante, où s’équilibrent mélodies et expérimentation. Coil poursuit aujourd’hui sa perpétuelle recherche musicale.

 

Test Dept :

Ecstasy under Duress (1982-83), Terra Firma (1985)

Ce collectif de chômeurs londoniens a commencé à frapper furieusement sur des bidons métalliques en criant dans des micros. Après son implication dans la grande grève des mineurs britanniques de 1984, le groupe produit avec Terra Firma une musique rituelle très forte, à base de percussions métalliques, de chants à plusieurs voix, de cornemuses et de pianos. Plus récemment, Test Dept se tourne vers une techno froide (Tactics for Evolution, 1998).

 

 

D’autres artistes majeurs de l’ " early indus " peuvent être mentionnés :

-Merzbow, alias Akita Mazami, diplomé en théorie de l’art de l’université de Tokyo, à l’origine de la scène indus japonaise, très productive (Gerogerigegege, Dissecting Table…).

-DAF, de Düsseldorf, qui joue également avec l’imagerie totalitaire et développe autour de 1980 une musique expérimentale quelque part à mi chemin entre le punk et l’indus, sans extrémisme sonore (Die Kleinen und die Bösen, 1980).

-Laibach, collectif slovène, créé en 1980 dans la Yougoslavie communiste, en pleine Guerre froide. Le groupe s’intéresse aux discours et aux pratiques des diverses formes de pouvoir : nazisme, communisme, capitalisme, OTAN, christianisme, la pop musique (album parodiant les Beatles, Let it Be, 1988). Laibach entretient des relations ambiguës avec l’extrême-droite. Dès la fin des années 1980, leur musique n’a plus grand chose à voir avec l’indus, mais évolue vers la techno froide ou le métal pompeux.

-Controlled Bleeding, groupe américain qui devient indus à partir de 1983 et développe parallèlement le projet Skin Chamber. Leur musique est de l’indus classique sous toutes ses formes (The Drowning).

-Whitehouse : groupe de l’écossais William Bennett, peu apprécié par TG, dont le but est de soumettre son public à la musique la plus dominatrice possible. Sa musique se limite à un bruit saturé continu, souvent un larsen, sur lequel Bennett crache par moment des injures sado-maso. Certaines pochettes d’albums nous avertissent aimablement : " Musique électronique extrême. A acquérir avec les précautions nécessaires ".

-NON, alias Boyd Rice, californien, sataniste et partisan ouvert de l’abjecte théorie du darwinisme social (" mort aux faibles de toute sorte "). Son premier album date de 1975. Il s’installe à Londres et côtoie notamment Daniel Miller, fondateur de Mute Records. Sa musique est ultra-saturée, bien souvent sans rythme ni mélodie, un peu à la manière de Whitehouse.

 

 

 

 

ELECTRO-INDUS ou TECHNO-INDUS ou ELECTRONIC BODY MUSIC (EBM)

 

Vers 1984, le mouvement industriel s’épuise et éclate dans de multiples directions. La plupart évoluent vers une musique de plus en plus électronique et dansante avec plus ou moins de réussite (SPK, Psychic TV, Cabaret Voltaire, Chris and Cosey, Controlled Bleeding, pendant un temps Coil et Laibach). Une floppée de jeunes groupes apparaissent, en particulier en Belgique autour des labels PIAS, KK Records et Sub Rosa (Klinik, Front 242), en Amérique du Nord, autour des labels Nettwerk et Wax Trax (Skinny Puppy, Front Line Assembly), en Angleterre (Nitzer Ebb) et en Allemagne. Les Young Gods, originaires de Suisse, issus clairement de l’industriel, évoluent aussi vers l’electro ambiante.

 

Meat Beat Manifesto (MBM) :

Armed Audio Warfare (1987-89)

L’anglais Jack Dangers est l’élément central de MBM. C’est à Londres qu’il sort son premier album, peut être le meilleur de l’electro-indus. Ses premières productions sont proches de l’industriel des débuts (nombreuses voix samplées, rythmes furieux, saturation générale sur Fear Version ou Kick that Man). Installé à San Francisco, Dangers côtoie Consolidated et Beatnigs. Cette scène de San Francisco a développé une forme de groove sur fond d’indus très intéressante, mêlant des éléments du hip hop, de la disco, du funk, du dub et de la jungle.

 

 

METAL INDUS

C’est à la fin des années 1980 que s’est développée une forme de " métal indus ", qui a peu avoir en fait avec l’indus à proprement parler, (Godflesh, Streetcleaner ; Pitch Schifter, dont le premier album s’appelle simplement Industrial ; Ministry, qui est passé d’une techno pop peu intéressante au métal industriel furieux en quelques années, Psalm 69).

 

 

FOLK INDUS

Certains groupes plus ou moins rattachés à l’indus ont introduit des guitares acoustiques folk, à la manière des premiers Psychic TV. On est en fait très loin de l’industriel à proprement parler. David Tibet de Current 93 est représentatif de cette tendance, tout comme son ami Douglas Pearce de Death in June. Toute une ribambelle de groupes européens, souvent nordiques, parfois politiquement louches, leur ont emboîté le pas.

On peut rattacher les Américains des Swans (Michael Gira) au folk industriel. La première période du groupe est purement industrielle (Cop / Young God, 1984-85), peut-être ce qui a été créé de plus intense et glaçant dans le style, puis le groupe a évolué vers une musique folk sombre et poétique.

 

 

INDUS EXPERIMENTAL INTELLO

Certains artistes se rapprochent de la musique concrète, et sont à la fois peu engagés et enragés. (Hafler Trio ; Nurse With Wound alias Steve Stapleton qui a collaboré avec Psychic TV, Fœtus, Current 93 ou Whitehouse ; l’Allemand Holger Hiller, qui œuvre depuis plus de vingt ans ; Karl Biscuit)

 

 

INDUS TRIBAL ETHNIQUE

Des groupes liés à l’indus puisent dans les musiques tribales et traditionnelles, européennes ou non européennes (Zoviet France, Mother destruction, Muslimgauze, Von Magnet).

Von Magnet :

Computador (1990)

Ce collectif multiartistique est apparu à Londres à la fin des années 1980, avant de s’installer en France. Computador, leur remarquable deuxième album, ouvre une voie nouvelle de l’indus, en empruntant au flamenco pour la musique comme pour le visuel. Par la suite, le groupe évolue vers une musique plus électronique, empruntant aux musiques tsiganes et orientales. Les projets actuels de ses deux membres Phil Von et Mimetic renouvellent l’électro indus ethnique, sans tomber dans la world music.

 

 

FREE INDUS

Des groupes sont à la croisée du free jazz, du free rock et de l’indus (Lydia Lunch, amie de Fœtus et égérie féminine radicalement engagée ; John Zorn, en particulier sur son album Kristallnacht ; Caspar Brötzmann Massaker qui a collaboré avec FM Eihneit).

 

 

LA SCENE FRANCAISE

-Clair Obscur, groupe de l’Oise, a débuté avec de l’early industrial de qualité (Play, 1982-84), avant d’évoluer vers l’electro-gothique, puis le néo-classique (In Out, 1986) et enfin la variété ironique (Sans titre, 1992).

-Die Form, alias Philippe Fichot, qui développe depuis vingt ans une esthétique sado-maso et une musique robotique plus ou moins dansante.

-les excellents Grief ont évolué de la cold, à l’electro froid puis à l’indus tribal, avec l’album Daedalus, enregistré dans une grotte par Ken Thomas, qui a produit les premiers Psychic TV. L’un des membres a crée Atlas Project (électro ethnique).

-Costes, installé en Seine-Saint-Denis, produit d’importantes quantités de bricolages sonores et développe des performances visuelles obscènes.

-NOX évolue du côté du tribal urbain. Ses membres poursuivent des projets solo (Cape Fear, Gerome)

 

 

L’INDUS DANS LA POP-ROCK

Plusieurs artistes grand public sont liés ou puisent dans l’indus :

-Depeche mode, en particulier sur Some Great Rewards (1984), membre du label Mute, qui a réédité la plupart des albums d’early industriel anglais.

-Soft Cell, dont les membres Marc Almond et Dave Ball ont participé à plusieurs projets musicaux avec Psychic TV ou Foetus.

-Björk a chanté sur un morceau de HöH et Current 93, proche du TOPY, à l’époque des débuts des Sugarcubes.

-Nine Inch Nails, alias Trent Reznor, produit un intéressant rock industriel grand public, qui se vend beaucoup. Il a été remixé par MBM ou Fœtus.

 

 

QUE RESTE-T-IL DE L’INDUSTRIEL EN 2001 ?

 

L’héritage industriel le plus intéressant se trouve dans l'électro expérimentale et radicale actuelle. On le trouve dans la division Hymen du label allemand Ant Zen, où sont ajoutés à l’indus des éléments techno et breakbeat, jungle ou drum and bass (Pan Sonic, Converter, Synapscape). Hymen a sorti un manifeste " néo-industriel " sous la forme du double cd Teknoir (1998). Le label Warp de Sheffield, créé avec la collaboration de Richard Kirk de Cabaret Voltaire, propose une musique électronique expérimentale inédite (Autechre , Aphex Twin). De même certains artistes comme Luke Slater de Novamute flirtent avec le bruitisme électronique. Achim Szepandri, du groupe industriel allemand P16D4, a fondé le label de techno expérimentale " 1000 plateaux ". Enfin, on peut discerner une forme de dub/hip hop industriel avec Scorn (Mick Harris), ses amis allemands de Sielwolf (Remixes by Mick Harris, 1996) et un groupe comme Fever du label allemand DHR (Too Bad but True, 1998).

Pour le moins intéressant, L’EBM belge persiste et signe (Suicide Commando sortant un peu du lot), quelques productions continuent dans le style early industrial sans rien apporter, et un pseudo-indus cold et folk, souvent idéologiquement douteux, se maintient.